APPRENDRE À MON ENFANT À PRENDRE DES DÉCISIONS
APPRENDRE À MON ENFANT À PRENDRE DES DÉCISIONS
Lors de nombreuses séances de guidance parentale, nous entendons des phrases comme :
"« Ma fille de 10 ans veut arrêter les cours d’anglais pour se concentrer sur le foot. Dois-je insister pour qu’elle termine l’année ou respecter son choix ? »
« Mon ado de 15 ans a été invité à une fête où il y aura de l’alcool. Comment l’aider à dire ‘non’, sans le braquer ? »
« Mon fils de 3 ans hurle parce qu’il veut mettre un pyjama de super-héros alors qu’il fait très chaud. Comment gérer cette situation sans cris ? »"
Comme tous ces parents, nous sommes souvent confrontés à des dilemmes éducatifs où il s’agit d’aider nos enfants à faire des choix. « Prendre des décisions » est une compétence clé pour leur autonomie, mais leur cerveau en développement ne leur permet pas toujours d’évaluer les conséquences de leurs choix de manière rationnelle.
👉 Dans cet article, en nous appuyant sur des recherches en psychologie et en neurosciences, nous découvrirons pourquoi l’accompagnement parental est indispensable à chaque étape du développement de l’enfant et quelles stratégies concrètes et adaptées à chaque âge peuvent l’aider à acquérir cette précieuse compétence
POURQUOI L’ACCOMPAGNEMENT PARENTAL EST-IL INDISPENSABLE ?
Nous pouvons citer trois (3) raisons principales :
1ère raison : La prise de décision s’appuie sur des mécanismes spécifiques du cerveau qui ne fonctionnent pas encore de manière optimale
Prenons l’exemple d’un adolescent à qui ses amis proposent un défi dangereux comme (la consommation d’une substance illicite telle que la drogue). L’adolescent aura tendance à tenter l’expérience, simplement compte tenu du fait que son cerveau d’adolescent privilégie l’émotion du moment plutôt qu’une analyse rationnelle des conséquences.
A ce propos, les recherches en neurosciences démontrent que le cortex préfrontal, responsable de l’anticipation des conséquences et du raisonnement logique, se développe progressivement jusqu’à l’âge adulte (Casey, 2015). Cette maturation progressive influence la prise de décision chez les jeunes en limitant leur capacité à anticiper les résultats de leurs choix et en les rendant plus vulnérables aux décisions impulsives, notamment sous l’influence des émotions et du groupe social. En parallèle, le système limbique, impliqué dans les réactions émotionnelles, est particulièrement actif pendant l’adolescence, ce qui explique une tendance aux décisions impulsives (Steinberg, 2008).
Pour résumer, d’un côté nous avons la zone de la logique, qui est peu performant, et de l’autre côté nous avons la zone de l’émotion qui pousse l’adolescent vers des décisions impulsives.
Dans un tel contexte, l’accompagnement du parent est indispensable.
2ème raison : La capacité de prise de décision évolue conformément au développement cognitif et affectif de l’enfant.
Le développement de la prise de décision chez l’enfant et l’adolescent repose sur des étapes bien définies, mises en évidence par de nombreux travaux scientifiques, notamment ceux de Jean Piaget, de Casey (2015) ou encore de Steinberg (2008), qui mettent en lumière l'évolution progressive des circuits neuronaux impliqués dans le contrôle exécutif et la régulation émotionnelle. Ces stades illustrent comment les capacités cognitives et affectives évoluent progressivement, influençant la manière dont les jeunes appréhendent leurs choix.
En d’autres termes, les enfants et les adolescents apprennent à prendre des décisions en suivant des étapes bien précises et clairement identifiées par des études scientifiques. Ces études montrent que petit à petit, le cerveau développe des connexions qui aident à mieux planifier, à se contrôler et à gérer ses émotions.
Durant la petite enfance (0-5 ans), l’enfant se base principalement sur ses perceptions sensorielles et ses émotions immédiates pour prendre des décisions. Les choix sont limités et souvent guidés par des préférences immédiates (ex. : choisir une peluche préférée).
À l’enfance (6-11 ans), il commence à raisonner de manière plus logique et à comprendre les liens de cause à effet, mais reste encore très influencé par des éléments concrets. Il peut commencer à prendre des décisions plus réfléchies (ex : gérer son argent de poche sur une semaine).
À l’adolescence (12-18 ans), l’émergence de la pensée abstraite permet une anticipation plus poussée des conséquences, bien que les émotions et la pression sociale jouent encore un rôle prépondérant.
Enfin, le jeune adulte (18-25 ans) atteint une meilleure maturité cérébrale, lui permettant d’intégrer pleinement la gestion des émotions et l’analyse rationnelle dans ses prises de décision.
Sans un accompagnement adapté à chaque étape, l’enfant risque d’être soit trop impulsif, soit paralysé par l’indécision face aux choix importants de la vie.
3ème raison : L’absence d’accompagnement peut entrainer des conséquences négatives importantes pour l’enfant.
Sans guidance parentale, l’enfant peut :
- Devenir indécis face aux choix importants, par peur de se tromper.
- Se laisser influencer par des pairs, par les médias (les réseaux sociaux)
- Avoir du mal à assumer les conséquences de ses décisions.
Par exemple, un enfant à qui l’on n’a jamais laissé prendre de décisions peut, à l’adolescence, se retrouver paralysé lorsqu’il doit choisir une orientation scolaire.
COMMENT ACCOMPAGNER MON ENFANT DANS L’APPRENTISSAGE DE LA PRISE DE DECISION ?
Pour réaliser cet accompagnement, je vous propose trois pistes :
- Créer un environnement propice aux choix
- Adopter une approche progressive
- Encourager la pensée critique, la gestion des émotions et l’anticipation
- Créer un environnement propice aux choix
La notion d’environnement ne se limite pas uniquement au foyer familial, mais englobe tout ce qui entoure l’enfant : les personnes qu’il côtoie, les objets qu’il utilise, les contextes dans lesquels il évolue et les circonstances auxquelles il est confronté. Ces éléments façonnent son rapport aux décisions et influencent la manière dont il apprend à choisir. La responsabilité des parents est donc extrêmement importante quant au contrôle de l’environnement dans lequel évolue l’enfant.
Dans un environnement convenablement maitrisé, les parents doivent offrir des occasions adaptées à l’âge de l’enfant pour qu’il puisse exercer sa capacité à décider. Ils doivent encourager la communication bienveillante et le dialogue pour permettre à l’enfant de se sentir en sécurité lorsqu’il prend des décisions.
Selon Antonio Damasio (neuroscientifique et professeur de neurologie et de psychologie, reconnu pour ses recherches sur le lien entre émotions, cognition et prise de décision), les expériences émotionnelles de l’enfance laissent des marqueurs somatiques, sortes de signaux émotionnels stockés dans le cerveau, qui influencent inconsciemment les choix futurs. Un enfant évoluant dans un environnement où il a été encouragé à prendre des décisions et à gérer ses émotions développera des marqueurs somatiques positifs, lui permettant d’affronter des choix complexes avec plus de confiance. À l’inverse, un enfant constamment réprimé dans ses décisions pourrait, plus tard, ressentir une hésitation excessive ou une peur de l’échec face aux choix importants.
Autrement dit, un enfant encouragé à faire des choix et à exprimer ses opinions sans crainte, grandira avec une plus grande confiance en ses décisions. À l’âge adulte, il abordera les défis sereinement et prendra des décisions sans peur excessive. À l’inverse, un enfant constamment critiqué ou freiné dans ses choix risque de développer une anxiété face aux décisions importantes, comme son orientation professionnelle ou ses relations, en raison d’expériences négatives ancrées dans sa mémoire émotionnelle.
Chers parents, vous avez la responsabilité de l’environnement d’apprentissage de votre enfant.
- Adopter une approche progressive
Une approche qui tiendra compte du stade de développement cognitif et émotionnel de l’enfant :
- Petite enfance (0-5 ans): Offrez des choix limités et valorisez chaque prise de décision.
Ex: Laisser un enfant de 3 ans choisir entre deux vêtements pour la journée lui permet d’exercer son autonomie sans être submergé par trop d’options.
- Enfance (6-11 ans) : Expliquez les conséquences et encouragez l’enfant à évaluer ses options.
Ex : Si un enfant de 8 ans veut dépenser tout son argent de poche en bonbons, l’accompagner dans la réflexion sur les avantages et inconvénients de ce choix (ex. : moins d’économies pour acheter un jouet qu’il souhaite).
- Adolescence (12-18 ans) : Accordez plus d’autonomie tout en encadrant les choix les plus importants.
Ex : Lorsqu’un adolescent veut s’inscrire à une activité extrascolaire, discuter avec lui de son emploi du temps et des engagements que cela implique avant qu’il ne prenne une décision.
- Jeune adulte (18-25 ans) : Soutenez sans imposer. Encouragez votre enfant à prendre du recul avant une décision importante.
Ex : Lorsqu’un jeune adulte hésite sur un choix de carrière, l’aider à analyser les perspectives d’évolution, ses intérêts personnels et les opportunités avant qu’il ne prenne une décision définitive.
- Encourager la pensée critique, la gestion des émotions et l’anticipation
Les recherches en psychologie cognitive (Kahneman, 2011) montrent que pour faire des choix, le cerveau fonctionne avec deux systèmes de pensée : l’un rapide et intuitif (Système 1) et l’autre plus lent et analytique (Système 2). Dans ce cadre, les émotions jouent un rôle crucial dans la prise de décision, car elles influencent notre manière de percevoir les situations et de réagir face aux choix.
Selon Antonio Damasio, les marqueurs somatiques dont nous avons déjà parlé et qui sont des signaux émotionnels associés aux expériences passées, guident nos décisions. Ces marqueurs fonctionnent comme des raccourcis neuronaux : lorsqu’une situation similaire à une expérience passée se présente, le cerveau associe automatiquement l’émotion ressentie à cette expérience et influence le choix. Ainsi, une expérience positive antérieure peut favoriser une prise de décision rapide et confiante, tandis qu’une expérience négative peut induire une hésitation ou une peur excessive du risque.
Exemple :
Imaginons un parent dont l’enfant hésite à s’exprimer en classe par peur d’être jugé. Au lieu de juste lui dire « lance-toi, il n’y a pas de raison d’avoir peur », le parent pourrait mettre en place un processus progressif d’apprentissage de la prise de décision en intégrant des marqueurs somatiques positifs. Voyons ensemble comment le parent pourrait mettre en place ledit processus :
- D’abord, le parent va commencer par aider son enfant à analyser la situation, en lui posant des questions ouvertes, telles que : « Qu’est-ce qui te fait peur quand tu veux répondre en classe ? », ou « que pourrait-il arriver de pire si tu te trompais ? » ou encore « et si, au contraire, ta réponse était correcte ? ».
Cette réflexion permettra à l’enfant de distinguer ses peurs réelles de ses peurs irrationnelles ou imaginaires.
- Ensuite, afin de gérer les émotions liées à la prise de parole, le parent va mettre en œuvre un exercice pratique, qui se présent comme suit :
- A la maison, le parent va jouer le rôle de professeur et encourager son enfant à répondre à haute voix.
- Le parent valorisera l’effort en montrant à l’enfant qu’une erreur n’est pas un échec mais une opportunité d’apprentissage (« Si tu te trompes, tu retiendras encore mieux la bonne réponse !»).
- Pour clôturer l’exercice, le parent va inciter l’enfant à observer comment il se sent après avoir osé répondre, ce qui va ancrer un marquer somatique positif.
- Enfin, après avoir aidé l’enfant à analyser la situation et à gérer les émotions liées à la prise de parole, le parent va anticiper les bénéfices d’une prise de décision confiante. Après plusieurs essais à la maison, il va encourager l’enfant à répondre une première fois en classe.
- Lorsqu’il réussit, le parent va l’aider à prendre conscience de son progrès : « Tu vois, tu as répondu et tout s’est bien passé ! Comment tu te sens maintenant ? ».
- Même en cas d’erreur, il le rassure en montrant l’absence de conséquences négatives graves : « Personne ne s’est moqué de toi, et maintenant tu connais la bonne réponse ! ».
Grâce à cette approche, l’enfant associe progressivement la prise de parole en classe à une émotion positive et non plus à une peur. Son cerveau enregistre cette expérience sous forme de marqueur somatique positif, ce qui facilite ses futures décisions dans des situations similaires.
Chers parents, vous pouvez aussi aider vos enfants à activer le Système 2 pour des décisions plus réfléchies en encourageant la verbalisation des émotions, l’analyse des situations et la prise de recul avant une prise de décision.
Par exemple, lorsqu’un enfant hésite entre plusieurs options, un parent peut l’amener à exprimer ses émotions et à analyser les conséquences en posant des questions ouvertes comme : "Comment penses-tu que tu te sentiras après avoir choisi cette option ?" ou "Quels seraient les avantages et les inconvénients de cette décision ?" Cette approche l’entraîne à ralentir son processus de réflexion et à ne pas réagir uniquement sous l’impulsion du moment.
OUTILS ET METHODES POUR AIDER SON ENFANT A PRENDRE DES DECISIONS
- Proposez des activités adaptées à chaque âge
- 0-5 ans : Routines et choix simples.
Ex : Laissez votre enfant choisir entre deux options pour son petit-déjeuner (ex. : une pomme ou une banane). Cela l’aidera à s’habituer à prendre des décisions tout en structurant son environnement.
- 6-11 ans : Jeux de rôle et scénarios fictifs.
Ex : Proposez un jeu où l’enfant doit décider comment résoudre un problème (ex. : aider un ami en difficulté à l’école). Cela l’amènera à réfléchir aux conséquences de ses choix de manière ludique.
- 12-18 ans : Discussions sur des situations réelles.
Ex : Discutez avec votre adolescent des décisions qu’il doit prendre (ex. : comment gérer son temps entre études et loisirs). Cela lui permettra de développer son sens des responsabilités.
- 18-25 ans : Techniques de gestion du stress et de planification à long terme.
Ex : Apprenez à votre jeune adulte à utiliser un outil de gestion du temps (ex. : agenda ou application de planification). Cela l’aidera à mieux organiser ses priorités et à anticiper ses engagements.
- Utilisez des outils pratiques
- Tableaux de choix : Lister les avantages et inconvénients pour comparer les options.
- Applications éducatives : Certains jeux favorisent la prise de décision réfléchie. Ex : EpicWin, Happify, Storyboard That, etc.
- Histoires inspirantes : Lire des récits où les personnages doivent faire des choix complexes.
- Mettez en œuvre des stratégies d’apprentissage émotionnel
L’intelligence émotionnelle joue un rôle clé dans la prise de décision (Goleman, 1995).
Les parents peuvent aider leurs enfants à développer cette compétence en les encourageant à identifier et exprimer leurs émotions, en les aidant à comprendre comment leurs sentiments influencent leurs décisions et en leur apprenant à gérer le stress face aux choix difficiles.
Par exemple, demander à un enfant de décrire ce qu'il ressent avant de prendre une décision importante peut l’aider à mieux comprendre ses propres réactions et à prendre des décisions plus réfléchies.
Apprendre à identifier et gérer ses émotions aide à éviter des décisions impulsives.
Conclusion
L’accompagnement parental est une clé essentielle pour aider l’enfant à développer progressivement sa capacité à prendre des décisions éclairées. Comprendre le développement cognitif et émotionnel de l’enfant vous permet, chers parents, d’adopter une approche adaptée et efficace.
Chers parents, retenons que :
✅ Le cerveau humain ne mature complètement qu’autour de l’âge de 25 ans, ce qui explique pourquoi les jeunes sont plus enclins aux décisions impulsives.
✅ Les décisions sont influencées par les émotions qui sont elles-mêmes influencées par les expériences passées, notamment à travers les marqueurs somatiques (Damasio, 1994).
✅ L’autonomie décisionnelle se construit progressivement :
- 0-5 ans : Offrez à l’enfant des choix limités pour initier l’habitude de décider.
- 6-11 ans : Encouragez l’enfant à l’analyse des conséquences.
- 12-18 ans : Favorisez l’autonomie sous supervision.
- 18-25 ans : Introduisez dans l’accompagnement la gestion du risque et l’évaluation des options.
✅ Créer un environnement bienveillant où l’enfant peut expérimenter et apprendre de ses choix favorise la confiance en soi.
✅ Des outils tels que les tableaux de choix, les jeux de rôle et la gestion des émotions renforcent la capacité de décision.
En tant que parent ou éducateur, vous avez un rôle crucial à jouer. Mettez en place des stratégies adaptées à l’âge de votre enfant et encouragez-le à réfléchir à ses choix.
Plus qu’un simple guide, vous êtes cher parent, est un facilitateur qui adapte son soutien en fonction du stade de développement de son enfant. En lui fournissant des outils concrets et en valorisant ses choix, vous aidez votre enfant à devenir un adulte autonome, responsable et confiant face aux décisions de la vie.
Dr Francis NIBON
Bibliographie
- Casey, B. J. (2015). Beyond simple models of self-control to circuit-based accounts of adolescent behavior. Annual Review of Psychology, 66, 295-319.
- Dahl, R. E. (2004). Adolescent brain development: A period of vulnerabilities and opportunities. Annals of the New York Academy of Sciences, 1021(1), 1-22.
- Davidson, R. J. (2012). The emotional life of your brain.
- Damasio, A. (1994). L’erreur de Descartes : La raison des émotions. Éditions Odile Jacob.
- Giedd, J. N. (2004). Structural magnetic resonance imaging of the adolescent brain. Annals of the New York Academy of Sciences, 1021(1), 77-85.
- Goleman, D. (1995). Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. Bantam Books.
- Kahneman, D. (2011). Thinking, Fast and Slow. Farrar, Straus and Giroux.
- Piaget, J. (1936). La naissance de l'intelligence chez l'enfant. Delachaux et Niestlé.
- Steinberg, L. (2008). A social neuroscience perspective on adolescent risk-taking. Developmental Review, 28(1), 78-106.
- Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science, 185(4157), 1124-1131.